Papy mamy, ma famille: Julia



Pour moi, les journées à l’école sont fatigantes. Je n’aime pas trop qu’on me parle, qu’on me demande de faire des activités ou qu’on me prenne mes jeux. Je n’ai pas peur, je suis juste timide. Et puis, je ne parle pas encore bien la langue de ce pays, non plus. Je ne comprends pas toujours tout. Je vivais en Espagne avec mon papy et ma mamy et puis nous sommes venus ici. Je n’ai pas bien compris pourquoi. Ça ne me plait pas trop ici. Je n’ai pas trop de copains, personne ne parle l’espagnol… Et c’est si différent de chez moi… Il ne fait pas aussi chaud, il pleut beaucoup, il n’y a plus la plage derrière mon école, …
Alors aujourd’hui, quand madame Hélène a distribué des papiers, je n’ai pas très bien compris de quoi il s’agissait. Il y avait une enveloppe verte et aussi un papier à mettre dans sa farde. De toute façon, je donne toujours ma farde à mamy et elle s’occupe de faire ce qu’il faut. Elle ne parle pas très bien français non plus, ma mamy, mais au moins elle le comprend.
Quand papy vient me chercher, finis les efforts, c’est l’espagnol qui reprend le dessus. Je dis un « aur evoir » timide à madame Hélène et je continue de discuter en Espagnol. Avec cette langue, je ne suis pas timide. Je raconte ma journée à papy et nous rentrons à la maison. Mamy est en train de faire bouillir de l’eau. Je lui donne la farde. Elle me dit en espagnol « Oh, tu as un anniversaire samedi ! ». Je lui dis « ah bon, je ne sais pas.
-          C’est Laura, ton amie qui t’invite. Tu sais ce que tu pourrais lui offrir ?
-          Je ne sais pas si j’ai envie d’y aller …
-          Oh… Mais pourquoi… ?
-          Je ne comprends jamais rien, ce ne sont pas mes amis….
-          Tu sais, ce n’est pas parce que tu ne comprends pas tout ce qu’ils disent que ce ne sont pas tes amis… Sinon cette Laura ne t’aurait pas invitée ! Je suis sûre que tu vas t’amuser ! »
Je hausse les épaules. Elle est gentille Laura. Mais moi je suis trop timide. Pendant ce temps, mamy regarde le contenu de ma farde d’avis. Elle lit le papier et fronce les sourcils. Moi, je la laisse faire et je me sers un bol de céréales. J’ai une faim de loup ! J’ai aussi très envie d’aller jouer dans ma chambre. Mamy me dit « Oh, tu dois apporter des photos de ta famille pour en parler la semaine prochaine
-          Tu vas pouvoir parler de ton super papy ! Tu en auras des choses à raconter. »
Je rigole. Mon papy c’est un vrai clown, je l’adore !
« Dans notre chambre il y a des albums. Tu peux aller choisir quelques photos ? Je les glisserai dans ta farde. Je hoche la tête. Je monte les escaliers, entre dans la chambre de papy et mamy, prend un album et vais m’asseoir sur mon lit. Ce sont nos photos. Il y en a même de moi, bébé, dans les bras de papy et mamy ou d’autres gens que je ne connais pas. L’album retrace notre vie en Espagne et le moment où l’on prend l’avion. Je me vois jouer avec mes cousins et mes cousines sur la plage ... Je vois ma tata qui me donne des biscuits. Tout ça me manque beaucoup. Je choisi une photo de mon papy habillé dans un très joli costume gris qui sourit de toutes ses dents. Pour mamy, je prends la photo ou elle caresse la tête du petit chien des voisins. Pour moi, il y a une jolie photo où je porte la robe bleue que m’a offerte ma tata avant que je ne prenne l’avion. Je décroche délicatement les photos et les donne à mamy. Elle me dit « merci mon cœur ». Je suis son cœur. Et elle les range dans ma farde.
Le lendemain, j’arrive à l’école encore un peu fatiguée mais de bonne humeur. Comme tous les matins, il y a plusieurs choses à faire : accrocher le manteau au portemanteau, sortir sa boite à tartines et à collation pour les ranger dans les bacs et donner sa farde d’avis à Madame Hélène. Je ne suis pas la seule à avoir des photos. Les copains de ma classe ont hâte de montrer leurs photos à madame Hélène. Je vois Lucie agiter fièrement ses photos. L’une d’elle tombe par terre et glisse à mes pieds. Je la regarde. Le monsieur a l’air jeune et très souriant. Je la ramasse et la tend à Laura. Elle me sourit et me dit quelque chose dont le seul mot que je comprends est « papa ». Elle me sourit en me montrant la photo. C’est son papa ? Elle donne les photos à Madame Hélène qui la remercie.
Madame Hélène se tourne alors vers Louis : « C’est ton papa et ta maman ? Super ! je vais les garder, merci beaucoup ! »
Tout à coup, je me demande si j’ai bien compris les consignes. Papa ? Maman ? Moi j’ai amené des photos de ma famille. Papy et Mamy…. Ce n’est pas ça qu’il fallait ? Je sens mes joues devenir rouges. Je remets mes photos dans la farde et cours la ranger dans mon cartable. Ouf, personne ne m’a vu je crois. Je redemanderai à mamy tout à l’heure de me réexpliquer.
Je vais m’asseoir sur le banc. Luke est assis en face de moi. Je l’aime bien Luke. Il ne me remarque jamais mais au moins, il est calme. Lucie fait beaucoup de bruit au coin voiture. Luke se lève et part se balader… Je reste seule à réfléchir à mes photos. Ma famille ne ressemble pas à celle des autres pourtant… Pourquoi personne n’a-t-il amené de photos de son papy et de sa mamy ?
A la fin de la journée, il est l’heure de reprendre sa boite à tartines et sa boite à collation pour les ranger dans le sac. C’est l’heure des papas et des mamans… Ou des papys et des mamys. Lorsque je veux tout ranger dans mon cartable, je vois que ma farde a disparu ! Malheur ! C’est surement madame Hélène qui l’a prise. J’ai honte. Je ne peux pas demander à Madame Hélène de me la rendre. Je suis trop timide. J’attends sur le banc que papy vienne me chercher. Quand je le vois, je cours dans ses bras et je pleure. Je lui dis en Espagnol « Madame Hélène a pris ma farde d’avis, il ne fallait pas. Il faut que tu la lui redemandes. »
Papy fronce les sourcils. Il me pose au sol et va parler avec madame Hélène. Je n’entends pas. Je sais que papy ne parle pas très bien mais madame Hélène n’a pas l’air de lui rendre la farde. Elle croise les bras. Elle fait oui de la tête et lui sourit. Après un moment, elle se retourne vers un autre parent de la classe et Papy revient vers moi… Sans farde.
« Ce n’est rien, Julia, rentrons à la maison. »
Madame Hélène n’a sûrement pas voulu rendre la farde. Je suis foutue.
Une fois arrivée à la maison, je retourne tout de suite dans la chambre où traine encore l’album. Je regarde toutes les photos. Demain, il faut que j’en apporte d’autres… Pour faire comme les autres copains… Peut-être que je pourrais prendre la photo de tata et tonton ? J’enlève quelques photos de l’album. Mamy arrive dans ma chambre.
« Je peux te parler, ma puce ? » Elle s’assied sur mon lit. Je comprends que l’on va avoir une discussion de grands.
« Papy m’a dit que tu n’avais pas voulu donner des photos de nous à madame Hélène ? » Je suis un peu gênée. Je secoue la tête.
« Les copains, ils n’ont pas donné de photos de leur mamy et de leur papy. Ils avaient des photos de gens plus jeunes, de leur papa et de leur maman… Je crois que nous n’avons pas très bien compris la consigne, mamy.
-          La consigne, ma petite, c’était de prendre des photos de sa famille. Ne sommes-nous pas de ta famille ?
-          Mais les autres copains, pourquoi n‘ont-ils pas donné de photo de leurs grands-parents ?
-          Toutes les familles ne sont pas les mêmes, tu sais. Certains vivent avec leur papa et leur maman, d’autres uniquement avec leur papa et certains encore vivent avec d’autres membres de leur famille. Toi, tu vis avec nous. Nous sommes ta famille. Et même si elle n’est pas la même que celle des autres, ce n’est pas grave. Tu peux quand même en être fier… »
Je plisse les yeux. Je réfléchis… un papa, une maman, … et moi alors ? Je n’en ai pas du tout ?
« Où sont-ils mes parents à moi ? Pourquoi je ne vis pas avec eux ? »
Mamy hausse les épaules.
« Parfois, il arrive que certains parents prennent la décision de confier leurs enfants pour que l’on s’occupe bien de vous. Avec Papy, on s’est toujours bien occupé de toi, pas vrai ?
-          C’est vrai. Vous êtes un petit peu comme mes parents, alors ?
-          Un petit peu, oui. Mais on ne remplacera jamais tes vrais parents. »
Je fais un câlin à mamy. Je l’aime tellement
« Et quoi qu’il arrive, n’oublie pas que nous sommes ta famille ! Même si elle n’est pas tout à fait comme les autres ! « 
Je dis oui. J’aime ma famille. J’ai hâte de la montrer à mes copains quand on sera à l’école. Même s’ils ne comprennent pas ma langue, je suis sûre qu’ils aimeront ma famille comme je les aime.
C’est à ce moment que papy débarque dans ma chambre.
« Ça va, vous deux ? Ça vous dit un petit jeu de société avant le souper ? »
Nous disons oui.
J’ai une super famille.

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